mardi 2 mars, 14h00 JOHANNE LAMOUREUX, professeure, Département d'histoire de l'art, Université de Montréal Titre de la communication Du cri au C.R.I : réflexion sur un acronyme paradoxal Résumé En 1766, Lessing publie le Laocoon et élabore une des premières grandes attaques contre l'ut pictura poesis, posant en quelque sorte les bases de la doctrine moderniste de la spécificité du médium de Clément Greenberg (Towards a New Laocoon). Or la démonstration de Lessing, quant à la nécessité de ne pas transgresser les contraintes matérielles respectives des arts du temps et des arts de l'espace, tourne autour d'une réflexion sur le cri. Lessing s'interroge en effet sur la question de savoir pourquoi le célèbre groupe sculptural de Laocoon et de ses fils donne à voir un protagoniste qui ne crie pas et s'éloigne par là du modèle possible offert par l'Énéide. Il s'en explique ainsi: "L'artiste voulait représenter la beauté la plus grande compatible avec la douleur physique. Celle-ci, dans toute sa violence déformatrice ne pouvait s'allier avec celle-là. L'artiste était donc obligé de l'amoindrir, de modérer le cri en gémissement, non pas parce que le cri indique une âme basse, mais parce qu'il donne au visage un aspect repoussant. Imaginez Laocoon la bouche béante et jugez. [...] Une bouche béante est, en peinture, une tache, en sculpture, un creux, qui produisent l'effet le plus choquant du monde, sans parler de l'aspect repoussant qu'elle donne au reste du visage tordu et grimaçant [...]. Quand le Laocoon de Virgile crie, à qui vient-il à l'esprit que, pour crier, il faut lui élargir la bouche et que cette bouche déformée le rend laid? Il suffit que le clamores horrendos ad sidera tollit soit un trait magnifique pour l'oreille, il peut être ce que l'on voudra par rapport au visage [...]. Le Laocoon de Virgile crie, mais ce Laocoon qui crie est le même que nous connaissaons et que nous aimons dèjà comme le patriote le plus clairvoyant, comme le père le plus affectueux. Nous attribuons son cri, non à son caractère, mais uniquement à son intolérable souffrance. C'est elle seule que nous entendons dans son cri, et c'est par ce cri seul que le poète pouvait nous la faire comprendre. Qui pourrait l'en blâmer? Ne doit-on pas plutôt reconnaître que, si l'artiste a bien fait en ne faisant pas crier Laocoon, le poète aussi a bien fait en le faisant crier?" Autour d'une oeuvre de Francis Bacon inspirée d'Einsenstein, il s'agira de réfléchir à la levée de cet interdit plastique et à l'ouverture interdisciplinaire (peinture/cinéma/photo) à laquelle elle paraît d'emblée liée. |